L'extraction minière dans les fonds marins: trop chère?
- Andreia
- 18 févr.
- 7 min de lecture
L'extraction minière dans les océans est-elle vraiment profitable? Depuis quelques années, les médias, les organisations environnementales et plusieurs industries s'intéressent de plus en plus à l'extraction minière dans les fonds marins. La raison de cet intérêt est simple: ses partisans assurent que celle-ci est nécessaire pour la transition énergétique. Alors que les gouvernements et les entreprises électrifient de plus en plus de secteurs et services, nous dépendons d'autant plus de certains minéraux comme le cobalt, le nickel, le cuivre et le manganèse. Mais est-ce vrai? Avons-nous vraiment besoin des métaux qui se trouvent dans les océans pour suivre la demande? Et à quel prix?

J’ai écrit un article sur la controverse qui entoure l’extraction minière dans les fonds marins, notamment en ce qui concerne les désaccords entre les activistes pour la protection de l’environnement et les partisans de ce type d’extraction. Alors que l’organisation qui s’occupe de réguler les extractions minière dans les océans, l’ISA, est encore indécise quant à l’autorisation de miner dans les eaux internationales, certains pays comme la Norvège et le Japon encourage ces pratiques dans leurs eaux nationales.
Ainsi, les discussions sur les bénéfices et les coûts de l’extraction minière dans les fonds marins peuvent être extrêmement tendues. Toutefois, la question de sa viabilité économique est rarement présente dans celles-ci. The Planet Tracker, un groupe de réflexion sur les questions financières durables à but non lucratif, a publié deux rapports à ce sujet en novembre 2024 et un guide politique en janvier de cette année.
Toutefois, avant d’explorer cette question, il est important de comprendre pourquoi les partisans de cette pratique pensent que cette dernière est indispensable pour un futur sans émissions de gaz à effets de serre. Pour l’instant, les minéraux utilisés pour créer des batteries et autres technologies vertes sont minés dans les sols uniquement. Cependant, comme l’explique l’Agence Internationale d’Energie (IEA), la demande de ces minéraux essentiels va augmenter nettement avec l’accélération de la transition vers un monde sans émissions. Dans un rapport publié en mai 2021, l’IEA note que "l’approvisionnement des minéraux essentiels pour des technologies clés comme les voitures électriques ou les turbines des éoliennes doit augmenter rapidement dans les prochaines décennies pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux. Cela pourrait créer des dangers au niveau de la sécurité énergétique et les gouvernements doivent agir maintenant pour se préparer et les éviter". En d’autres termes, pour atteindre les objectifs des accords de Paris, l’IEA estime qu’il faudrait quadrupler l’approvisionnement de ces minéraux d’ici 2040. Mais pour atteindre zéro émission d’ici 2050, il faudrait produire six fois plus de minéraux d’ici 2040.

Mais qu'entend l'IEA par "dangers au niveau de la sécurité énergétique"?
Selon l’IEA, plusieurs facteurs font que l’augmentation rapide de la demande globale pour ces minéraux crée des dangers sécuritaires au niveau de l’approvisionnement d’énergie. L’un des plus importants à garder en tête pour cet article est la diminution de la qualité de ces métaux. "Ces dernières années, la qualité des minerais pour plusieurs biens a diminué. Par exemple, la qualité du cuivre qui vient du Chile a diminué de 30% au cours de ces 15 dernières années. Extraire du métal dans des minerais de mauvaise qualité demande plus d’énergie, augmente la pression mise sur les coûts de production, augmente les émissions de gaz à effet de serre et augmente le volume de déchets", explique l’IEA dans son rapport.
De plus, la vigilance des conséquences environnementales et sociales de l’extraction minière a augmenté du côté des consommateurs comme des investisseurs. En effet, l’extraction et le traitement de ces ressources amènent plusieurs problèmes environnementaux et sociaux qui font non seulement du mal aux communautés locales et mais qui perturbent également la chaîne d’approvisionnement. Ainsi, les consommateurs et investisseurs demandent aux entreprises d’utiliser des métaux durables et responsables. Pour l’IEA, ces facteurs (et bien d’autres) démontrent que l’approvisionnement et les investissements actuels sont inférieurs à ce qui est nécessaire pour transformer le secteur énergétique and suivre l’augmentation de la demande.
Des entreprises comme The Metals Company au Canada utilisent généralement ces deux arguments pour expliquer pourquoi l’extraction dans les fonds marins est nécessaire. Pour celles-ci, "le plus grand danger pour les océans est le réchauffement climatique" et l’extraction minière dans les fonds marins est sure en comparaison à l’extraction sur terre car la recherche suggère que "utiliser les métaux qui se trouvent dans les nodules polymétalliques peut réduire l’impact environnemental associé à cette activité entre 70 à 80% en comparaison aux minerais sur terre".
Bien que la possibilité de sauvegarder l’écosystème de l’océan tout en minant ses sols est vivement débattue, j’aimerai examiner les rapports de The Planet Tracker sur la viabilité économique de ce type de méthode. L’ISA estime qu’il existe au total entre 480 millions et 13’500 millions de tonnes de nodules polymétalliques. Ces nodules contiennent un mélange de différents minéraux tels que le nickel, le cobalt, le cuivre et le manganèse. Alors que ces nodules peuvent se trouver dans tous les océans et même dans les lacs, ceux qui ont un intérêt économique sont bien plus localisés. Selon l’ISA, ces derniers sont plus abondants dans la région de Clarion-Clipperton dans le Pacifique vers la côte ouest du Mexique, dans le bassin central de l’océan Indien et dans le bassin du Pérou.

Lorsqu’on regarde ces estimations, le potentiel économique de l’extraction minière dans les fonds marins semble immense. Toutefois, miner l’océan présente plusieurs défis économiques. L’un des rapports démontre que "si les métaux extraits dans les fonds marins entraient dans le marché, les prix globaux du cuivre, cobalt, nickel et manganèse pourraient diminuer grandement". Ces quatre minéraux contribuent en moyenne à plus de 560 milliards de dollars américains de revenu provenant d’exports pour les 12 pays les plus économiquement dépendants de l’extraction de ces métaux. Par exemple, pour la République Démocratique du Congo (RDC), 34,2% de son PIB annuel vient de ses exports de métaux et, pour la Zambie, il s’agit de 37,5% de son PIB. Selon les auteurs du rapport, "même une petite diminution du prix de ces métaux pourrait avoir un impact conséquent sur les revenus de ces gouvernements ainsi que d’autres impacts économiques et sociaux négatifs tels qu’une augmentation du taux de chômage et un ralentissement économique".
De plus, cinq de ces douze pays ont été catégorisés par la Banque Mondiale comme étant des pays à "revenu intermédiaire bas" en 2023 (Congo, Géorgie, Mongolie, Papouasie Nouvelle Guinée et Zambie) et un (RDC) comme étant un pays à "bas revenu". Par conséquence, ces pays seraient moins préparés à faire face aux impacts économiques négatifs que l’extraction minière dans les fonds marins pourrait causer.
Mais l'extraction minière dans les fonds marins pourrait-elle bénéficier d'autres pays?
Selon la Convention sur les Lois de la Mer des Nations Unies (UNCLOS), les entreprises peuvent miner les fonds marins uniquement si elles sont sponsorisées par un Etat. De ce fait, les entreprises d’extraction minière sont taxées sur leur revenu en raison de leurs accords avec les Etats qui les sponsorisent. Le rapport de The Planet Tracker démontre que les pays sponsors pourraient en théorie recevoir jusqu’à 6,25 millions de dollars américains par année grâce à ces taxes (à un taux de 25%). Une somme considérée par les auteurs du rapport comme "une insignifiante contribution aux revenus gouvernementaux". De plus, les Etats sponsors pourraient ne rien recevoir du tout étant donné l’existence d’accords pour exempter de toutes taxes certaines entreprises minières.
Du côté des entreprises minières, celles-ci ne risquent de générer que très peu de profits, selon le rapport. En effet, la convention de l’ISA déclare que "toute entreprise qui souhaite extraire des minéraux dans les fonds marins doit payer l’ISA qui devra ensuite partager ces bénéfices avec les Etats membres. L’ISA doit développer des règles pour le partage équitable de tout bénéfice économique ou financier venant de l’extraction minière dans les eaux internationales".
Pour l’IEA, les défis techniques, financiers et environnementaux de l’extraction dans les fonds marins ne peuvent être ignorés.
Dans les faits, l’analyse de The Planet Tracker estime que chaque membre de l’ISA devrait recevoir entre 42'000 et 1,1 million de dollars américains par année de redevances minières : une contribution "sans grand intérêt pour les caisses des gouvernements", selon les experts. L’ISA pourrait recevoir jusqu’à 270 millions de dollars américains annuellement, dont 80 millions serviraient à payer des coûts administratifs et à soutenir les Etats affectés par l’extraction minière des fonds marins. "Cependant, l’ISA a le droit de déduire les sommes qu’elle veut avant de distribuer les redevances aux Etats membres. Cela pourrait donc réduire grandement les sommes perçues par les Etats membres", ajoutent les auteurs.
Ainsi, je reviens à ma question initiale: les extractions minières dans les fonds marins sont-elles économiquement viables pour suivre la demande grandissante de minéraux?
Bien que l’extraction de minéraux sur terre apporte son lot de défis, l’extraction dans les fonds marins ne fait qu’aggraver les impacts environnementaux et économiques existants. Pour l’IEA, les défis techniques, financiers et environnementaux de l’extraction dans les fonds marins ne peuvent être ignorés. Dans son rapport de 2021, l’agence souligne le fait que "les technologies nécessaires sont différentes de celles qui existent déjà pour extraire les métaux sur terre ou pour extraire du pétrole ou du gaz dans les océans. Les machines doivent être contrôlées à distance et capables de travailler sous une très haute pression. De plus, extraire des métaux demande d’autres compétences que d’extraire du pétrole ou du gaz. Si un projet pilote en 2017 au Japon a réussi à extraire un minerai massif de sulfure, un développement technologique plus important est nécessaire pour faire en sorte que ce processus soit viable commercialement".
Les industries et les gouvernements devraient probablement se concentrer sur les défis actuels pour les résoudre plutôt que d’en créer de nouveaux. Certaines des solutions présentées par l’IEA incluent le recyclage des métaux, la réduction de l’intensité matérielle, l’encouragement des substitutions matérielles et le renforcement de la collaboration internationale entre les producteurs et les consommateurs.
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